Roland Gori, psychanalyste, professeur honoraire à l’Université et président de l’Appel des appels, réagit suite à l’affaire Benalla et à la récente démission d’Hulot symptomatiques du pouvoir macronien.
Ce matin un lapin a tué un chasseur…
C’est la deuxième affaire de l’été qui menace le pouvoir présidentiel d’Emmanuel Macron. Le « miracle » d’un moment électoral inédit au cours duquel un jeune homme quasiment inconnu, séducteur autant que travailleur, sympathique et chaleureux autant que profondément autoritaire, habile au compromis autant qu’à la traitrise méthodique, conquiert le pouvoir et l’exerce avec charisme. Ce « casse du siècle » est en train de s’effriter. L’illusion de transcendance, le sacre d’un nouveau commencement, la théologie de l’entreprise conçue comme un « foyer » de toute expériences individuelle ou collective, sont balayés par le vent mauvais des armes. Dans les deux affaires qui menacent le pouvoir monarchique de Macron, il y a une arme en trop. L’arme est la lettre volée des deux affaires de l’été, l’affaire Benalla et la démission d’Hulot.
Dans la première le « hussard » macronien en portait une sans autorisation au moment où il « tabassait » des manifestants, dans la seconde le ministre démissionnaire s’est trouvé « braqué » par la présence d’un représentant des chasseurs, lobbyiste des ventes d’armes de surcroît. La violence est au cœur des deux affaires, obscène dans la première, insidieuse dans la seconde. Le charisme cède la place à la violence nue au cœur d’un pouvoir charismatique qui, comme dans Le Guépard de Visconti, bouge toutes les lignes pour que rien ne change. Nicolas Hulot semble s’en être rendu compte par une « décision d’honnêteté et de responsabilité ». Le ministre démissionnaire a retrouvé sa loyauté envers lui-même, « c’est une décision entre moi et moi. Et je ne veux pas me mentir », en s’arrachant au pouvoir magique, à la séduction de l’autorité présidentielle.
Emmanuel Macron sait parfaitement jouer de cette efficacité symbolique de sa fonction de monarque présidentiel qu’il assume et accentue comme nul autre ne l’avait fait depuis le Général de Gaulle. Plus que ses derniers prédécesseurs, il sait que, dans notre monarchie présidentielle, pour faire un vrai « roi républicain » il faut plus qu’une élection, il faut plus qu’une majorité parlementaire. Il faut cette vertu ancestrale que confère le pouvoir à ceux qui ont reconnu sa substance spirituelle, sa force symbolique[1]. Il le déclare sans ambages le 16 février à l’Obs, quelques semaines avant son élection : «Vous savez bien que le président, qui a plusieurs corps, est constitutionnellement le garant des institutions, de la dignité de la vie publique. Or, cette responsabilité symbolique ne relève ni de la technique ni de l’action, elle est de l’ordre littéraire et philosophique.» L’intuition politique et psychologique d’une telle déclaration révèle la nature théologico-politique de la fonction présidentielle : gouverner, c’est prévoir, certes, mais c’est surtout «faire croire», arracher par des fictions la confiance à une opinion publique versatile, inquiète et exigeante. Il faut un courage certain pour s’écrier tel l’enfant du conte d’Andersen[2] que « l’Empereur est nu ». Le Ministre a eu ce courage de dire qu’au sein d’un gouvernement bonapartiste consacré par une théologie entrepreneuriale et financière, encadré par une nouvelle noblesse d’Etat dévouée corps et âme à son chef, partageant avec lui la croyance en la nécessité d’une hybridation du pouvoir de l’Etat et des valeurs du marché, pratiquant la manipulation de l’opinion par la gestion algorithmique des réseaux sociaux et la réduction des corps intermédiaires, l’écologie devait s’effacer devant les tenants de l’efficacité, du productivisme, du fonctionnalisme et de la force. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment ce pouvoir qui veut faire de la Nation une Start up et des Préfets des « entrepreneurs de l’Etat » pourrait-il prendre soin de la vulnérabilité de la planète tant il maltraite celle des humains ?
Les affaires Benalla et Hulot attestent, chacune à leur façon, de la violence nue d’un pouvoir qui se pare des habits invisibles d’un humanisme qui n’existe pas dans les faits. Que Nicolas Hulot ait accompli cet acte à la cantonade lors d’une émission de radio, l’adressant à personne et à tous en même temps, en dit long sur l’effort que chacun se doit d’accomplir pour déclarer que « l’Empereur est nu ». Quant à notre monarque, fin lecteur de Machiavel, peut-être pourrait-il se souvenir que : « ceux qui de simples personnes deviennent Princes par le moyen seulement de fortune n’ont pas grand-peine à y parvenir mais beaucoup à s’y maintenir ; et ils ne trouvent pas fort mauvais chemin au commencement, car ils y volent, mais toutes les difficultés naissent après qu’ils sont en place[3]. »
[1] Ernst Kantorowicz, Les deux corps du roi
[2] Hans Christian Andersen, Les Habits neufs de l’empereur (1837) ;
Roland Gori, Macron ne trouve sa limite qu’en lui-même, Politis, 26 juillet 2018 ; La
nudité du pouvoir. Comprendre le moment Macron, Paris, LLL, 2018.
[3] Nicolas Machiavel,
1532, op. cit., p 306.
Roland Gori publiera le 12 septembre prochain La nudité du pouvoir. Comprendre le moment Macron.