Emmanuel Macron est-il le reflet de son époque ? Dans son nouvel essai Roland Gori décortique et analyse ce moment politique, découvrez un extrait (p. 23-25) :
Emmanuel Macron, un charisme de notre temps ?
Les hommes politiques ressemblent plus à leur époque qu’à l’idéologie dont ils se réclament. La nôtre ne fait pas exception. Un psychanalyste ne peut que préciser, encore et encore, que les hommes politiques sont les enfants de leur époque, ils en incarnent les rêves et les cauchemars.
Il fallait à la nôtre un certain culot pour qu’elle puisse élire à la magistrature suprême un «jeune homme», bien sous tous rapports, gendre idéal, philosophe et banquier, conseiller du Prince, sautant allégrement toutes les étapes traditionnelles qui mènent au pouvoir. Qu’est-ce qui a conduit notre époque à fournir à un jeune homme ambitieux, brillant, réussissant dans tous les domaines où il s’aventure, séducteur autant que travailleur, sympathique et chaleureux autant que profondément autoritaire, négociateur habile du compromis et de la synthèse autant que «traître» méthodique, homme d’action et d’a aires autant que de réflexion philosophique, l’occasion de prendre le pouvoir suprême de notre « monarchie républicaine » ?
La personnalité de Macron ne m’intéresse qu’en tant qu’elle se révèle le miroir de la culture et de l’éthique de notre époque. Je dirais, à la manière d’Émile Durkheim, que la «personnalité» de notre président pourrait bien n’être que l’individu socialisé de notre temps, la figure sociale du conquérant de l’époque, quel que soit le domaine de ses conquêtes, a aires, politiques, cultures, médias, recherches… Toute «psychanalyse» du personnage serait scientifiquement infondée et politiquement aveuglante. C’est en tant que héros de notre époque, de ses valeurs, de son éthique, que j’évoquerai le parcours et la figure d’Emmanuel Macron, en me déplaçant délibérément des éléments biographiques dont on dispose au contexte social et politique de son accession au pouvoir. Il ne s’agit ni de faire d’Emmanuel Macron la « marionnette » de notre époque, ni de le promouvoir comme le « héros » de la rupture politique qu’il revendique. Les choses sont plus complexes. Cette victoire imprévue d’un candidat «hors normes» résulte d’une rencontre entre l’art d’un personnage charismatique et les attentes sociales et politiques d’une époque. Rencontre qui n’est pas exempte de malentendus. Il convient d’analyser les conditions qui ont permis cette rencontre entre les qualités d’un candidat «hors parti» et notre désarroi, entre la détresse sociale et politique de l’époque et les qualités que ses partisans ont attribuées à une candidature «providentielle», et auxquelles nous avons, plus ou moins malgré nous, consenti. Si ses partisans lui ont attribué de telles qualités, c’est bien parce que l’illusion a pu être rendue possible à partir des signaux qu’Emmanuel Macron sait émettre, et depuis longtemps. L’épouvantail du FN a joué un rôle, certes, mais il n’explique pas tout. Il ne sert à rien de se voiler la face, de rester aveuglés par la haine ou le mépris partisans, cet homme a du talent, au premier rang duquel celui de se saisir des opportunités. En quoi, en risquant à tout moment de succomber à la faiblesse de l’opportunisme… il est bien un personnage central de notre modernité. On l’aura compris, je le souligne une fois encore, l’opportunisme de Macron dévoile celui de notre époque, il en est l’enfant, que cela nous plaise ou non ! Enfant de la vente de produits à la mode et à l’obsolescence programmée, enfant de la publicité, enfant du «présentisme» et du «jeunisme», enfant des start-up et des réseaux sociaux.
Roland Gori, La nudité du pouvoir.
En librairie le 12
septembre.