Pablo Servigne, créateur du concept de la collapsologie, co-auteur de L’entraide : l’autre loi de la jungle signe la postface du livre de Julien Wosnitza.
Dans Pourquoi tout va s’effondrer, Julien Wosnitza fait le point sur l’état de notre planète, et cherche à éveiller notre conscience aux problématiques environnementales et sociales actuelles.
Découvrez la postface de Pablo Servigne :
Personne n’aime se prendre des coups. Pourtant, il y en a qui réveillent.
Ce qui est désagréable avec le livre de Julien Wosnitza, c’est qu’il nous montre — en miroir — notre propre inaction, notre lassitude, et nos mécanismes de déni. Qui n’a pas eu envie, en lisant le livre, de le contredire ou de « chercher la petite bête » ?
C’est vrai qu’il est facile de balayer tout cela d’un revers de main. On peut critiquer les chiffres et les arguments. On peut aussi blâmer l’auteur d’avoir décrédibilisé le sujet en exprimant ses sentiments et ses opinions politiques. On peut aussi le prendre pour un illuminé, un pessimiste radical et même un jeune idéaliste.
Je pense au contraire que le texte de Julien est fort, précisément pour toutes ces raisons, simultanément.
Vous auriez voulu plus de données chiffrées ? Êtes-vous sûrs ? Les rapports d’experts et autres articles scientifiques facilement accessibles sont désormais bien trop nombreux pour qu’une seule personne puisse les compiler… sans perdre sa santé mentale !
Non, le texte de Julien touche juste car il est au croisement d’une pensée construite, d’une vie sensible, et d’un parcours fracturé. C’est même son côté subjectif et personnel qui le rend si universel. Il ne faut plus se voiler la face, tous ces constats dépassent largement les petits cercles d’écologistes « radicaux », d’experts en risques ou de climatologues aguerris. De nombreuses personnes à travers le monde savent, ont ces intuitions, ressentent ces choses, à travers tous les milieux, les classes sociales et les affinités politiques. Et les jeunes… contrairement à ce que l’on croit, ne sont pas dupes.
J’ai personnellement vécu toutes ces montagnes russes d’émotions, ces successions de « déclics » pénibles, de moment de stupéfaction à la découverte des catastrophes liées au climat, aux écosystèmes, aux inégalités, au monde politique, à la finance ou à l’énergie. J’ai aussi ressenti la rage et la solitude, l’envie d’appeler à l’aide ou de pousser un cri de guerre. Et je les ressens encore souvent.
En filigrane de ce livre, il y a l’histoire d’une cassure, d’une nette fissure dans l’imaginaire de notre société. Elle donne un nouveau sens au monde qui vient, mais sépare les gens, et peut-être aussi les générations. Comment réconcilier les personnes qui croient aux catastrophes globales avec celles qui n’y croient pas ? Il faudra probablement en faire le deuil. Le temps qu’ils arrivent à s’entendre, des évènements majeurs auront eu raison de notre mode de vie…
Comprendre le tableau global, lâcher les émotions, ouvrir l’imaginaire… Voilà quelques propositions pour ne pas devenir fou, c’est-à-dire pour donner du sens au monde qui vient, et à nos actions. Car des choses à faire, il y en a ! S’organiser pour freiner la destruction de ce qui nous maintient en vie ; inventer et construire des alternatives ; créer et partager d’autres récits ; et surtout faire du lien entre tout cela…
Ce livre est aussi l’histoire d’un basculement : le moment précis où l’on envisage que tout peut s’en aller. Que notre finitude est palpable, réelle. Accepter progressivement cette possibilité, ce n’est pas se morfondre dans l’inaction — au contraire ! —, c’est lâcher quelque chose pour s’ouvrir à d’autres perspectives dont nous aurons besoin pour construire la suite.
Julien Wosnitza a pris la décision de s’engager. Il a décidé de défendre des êtres vivants non-humains, très vulnérables, au péril de sa vie. Sentiment de justice, sentiment de tisser des liens avec ses coéquipiers et avec les non-humains, sentiment de participer à une grande cause qui le dépasse. Il s’agit clairement de donner du sens à sa vie dans une époque qui a clairement perdu le nord, ou plutôt qui le confond avec les chiffres annuels de la croissance ou des enjeux de la prochaine élection.
Alors, oui, on peut balayer tout ça d’un revers de main. C’est vrai. Mais en attendant quoi ?
Nous avons besoin de courage et d’audace, pour nous confronter au réel, pour exprimer nos vulnérabilités et nos désirs, pour les partager, pour arriver à changer de vie, et surtout pour défendre ce à quoi nous tenons. Merci Julien d’avoir pu exprimer cela !
Pablo Servigne
Julien Wosnitza, Pourquoi tout va s’effondrer
96 pages, 9,50€, en librairie